mercredi 16 juillet 2008

Lecture méthodique d’un poème: « L’Albatros »


 Rappel succinct de la lecture méthodique
 La phase pré-pédagogique
 La phase pédagogique
 La phase post-pédagogique
 Un supplément
L’Albatros
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Charles BAUDELAIRE, Les fleurs du mal, Editions , , p.



I. La lecture méthodique :
La lecture méthodique comme le soulignent les spécialistes de la didactique a pour objectif initial de déterminer la perspective d’étude de texte, dans le cadre d’un groupement de textes (thématique, problématique ou historique), d’une étude d’une œuvre intégrale ou d’un extrait, comme c’est le cas de notre essai, représentant d’un genre, d’un type ou des procédés d’écriture.

Ainsi, toute lecture méthodique devrait être élaborée en fonction de quelques objectifs spécifiques qui orientent des hypothèses de lecture.

Faisant référence à des savoirs littéraires et linguistiques, et à ceux qui sont empruntés aux sciences humaines, cette méthode n’exclut nullement la connaissance du sujet apprenant et, ma foi, celle du sujet liseur.

De ce fait, cette approche permet d’actualiser tous les différents outils d’analyse susceptibles de construire « du » sens. Elle concerne donc les points suivants :

A. La structure : d’une part, on appelle structure d’un texte la disposition typographique (découpage en paragraphes pour un texte en prose ; en strophes ou en groupements de vers pour un poème) ; d’autre part, les différentes unités syntaxiques et sémantiques. Il peut y avoir concordance ou discordance entre ces deux structures.

B. Enonciation et point de vue :
a. La voix (qui parle ?) :
 Rechercher les marques du narrateur : pronoms personnels, adjectifs, possessifs…
 Distinguer :
• Narration à la première personne (auteur = narrateur = personnage principal dans le cas du récit autobiographique ou narrateur = personnage principal dans le cas d’un roman à la première personne…)
• Narration à la troisième personne (narrateur est différent du personnage ( ?))
• Narration la deuxième personne (cf. le texte de Abdel Kébir KHATIBI, Amour Bilingue)


b. Le point de vue (qui voit ?) :
 Déterminer le type de focalisation (interne, externe, zéro) en repérant les sujets des vers de perception…)

C. Indices d’énonciation :
 Etudier le vocabulaire (valorisant/dévalorisant), les connotations, les modalisateurs, les repères de temps et de l’espace
 Etudier les repères spatiaux en corrélation avec l’examen du point de vue et des champs lexicaux
 Etudier les repères temporels à partir des temps verbaux et de la valeur aspectuelle (singulatif, itératif, répétitif,…) et des autres indications rapportées par les adverbes, les substantifs ou les pronoms.
D. Les champs lexicaux :
 Rechercher les principaux champs lexicaux en étudiant leur contribution dans le texte et leur corrélation

E. Les figures de style :
 Etudier les figures de style dominantes dans le texte :
• Figures d’analogie et de substitution : comparaison, métaphore, métonymie, allégorie
• Figures d’atténuation, d’insistance : euphémisme, litote, hyperbole, anaphore, antiphrase
• Figures d’opposition : antithèse, oxymore, chiasme

F. Syntaxe :
 Type de phrases : simples ou complexes, nominales ou verbales
 Dominante : parataxe, hypotaxe…
 Structure : enchâssement des subordonnées
 Effets de rupture : anacoluthe

G. Ponctuation :
 Fréquence, effets de rhétorique et expressifs




H. Rythme :
Il se fonde sur la succession des accents toniques placés dans la langue française sur la dernière syllabe ou d’un groupe de mots formant une unité grammaticale :
 Texte en prose : présence de rythme binaire ou ternaire, croissant ou décroissant
 Texte versifié : mètres, accents, coupes, enjambements et rejets…
 Sonorités : assonances, allitération, rimes, paronomases…

I. Tons et registres :
 Identifier la dominante tonale du texte : comique, tragique, pathétique, lyrique, épique…

J. Proposition des axes de lecture :
Le repérage progressif des procédés d’écriture, à l’aide des outils d’analyse précédents, permet d’élaborer diverses hypothèses d’interprétation qu’il convient de faire converger au terme des parcours de texte. On choisira et ordonnera les procédés dominats qui semblent les plus adéquats pour formuler une, deux ou trois pistes de lecture de texte.
Deux modes d’organisation du plan de lecture méthodique sont envisageables :
 Un plan qui présente les hypothèses de lecture en s’appuyant sur la structure du passage
 Un plan synthétique regroupant les hypothèses de lecture en divers centres d’intérêt
Le choix du plan est déterminé par la structure et le type du texte ; ainsi sera-t-il plus judicieux, par exemple, de construire la lecture méthodique d’un texte argumentatif en se fondant sur son organisation logique.

K. Méthode d’introduction et de conclusion :
 L’introduction : en fonction de l’objectif, l’introduction veillera d’abord à situer le texte dans la fonction la perspective de l’œuvre intégrale ou bien dans la problématique du groupement de textes, ou encore, dans le contexte de l’histoire littéraire. Puis, elle caractérisera le passage proposé avant d’annoncer le plan de la lecture méthodique
 La conclusion : elle sert à rappeler évidemment les différents axes de la problématique, à mettre en relief les solutions apportés à celle-là et à ouvrir le travail sur un débat d’ordre didactique, littéraire, esthétique, philosophique…etc.


II. La phase pré-pédagogique :

A. Quelques notions utiles : la séquence prend en compte paramètres suivants :
 Le niveau : cette lecture est destinée aux élèves de la deuxième année secondaire, du cycle qualifiant
 Les pré-acquis : les élèves sont censé êtres initiés à la notion du genre (roman, drame, poésie…) et à quelques procédés de l’écriture (mètre, rime, vers…)
 Les pré-requis : il s’agit d’un savoir utile pour la réalisation de la séquence et l’atteinte des objectifs :
• Les figures de style d’analogie, de substitution et d’opposition
• Le symbole…

 Les objectifs : il s’agit de
• Consolider les acquis d’une méthode appelée méthodique
• Lire et interpréter un texte poétique en donnant aux effets prosodiques toute leur importance
• Connaître un poème (ou une écriture) symbolique

B. Questionnaire qui accompagne le poème (à lire hors classe) :
 Précisez le genre du texte et justifiez votre réponse
 Déterminez les termes suivants :
 Albatros (en en cherchant une image illustrative (photographie))
 Symbole

 Situez le poème dans son contexte (auteur, siècle, recueil, débat…)








III. La phase pédagogique :
Il s’agit de recueillir les éléments de réponse :
A. Le genre :
C’est un poème constitué de strophes (quatre quatrains), de vers (seize), de rime croisées (ABAB) et des figures de style (comparaison, opposition,…)

B. Le titre :
C’est un nom commun, comptable. Altération du mot »Alcatraz », qui signifie « pélican », albatros »), Le Petit Robert présente cet oiseau ainsi : « Probablement d’une langue indigène d’Amérique, le grand des oiseaux de mer, palmipède au plumage blanc et gris, au bec crochu, vivant souvent en vastes colonies »(1).
Au golf, le terme désigne, selon le dictionnaire Universalis, le « fait de réussir un trou en trois sous le car » (2).

D. L’image illustrative :
Pourquoi une telle illustration ?
L’expérience professionnelle (et personnelle) nous a montré que l’illustration de certains concepts, thèmes ou idées est d’une très grande utilité. Car l’absence du référent chez l’apprenant peut représenter un obstacle dans l’action d’eseignement-apprentissage. C’est le cas d’un poème de Francis Ponge dans lequel il décrit un appareil téléphonique, par comparaison implicite à un homard (3). Et l’inexistence d’untel crustacé, qui n’est pas fort familier à la plupart des élèves, a transformé l’un de nos cours en un discours de sourds-muets.
A bon entendeur !


D. Le contexte :
Extrait d’un recueil de poèmes intitulé, Les Fleurs du mal (1857) de Charles BAUDEALAIRE, et composé probablement lors d’un voyage de 1841-1842, « L’Albatros » est la deuxième pièce poétique de la section « Spleen et Idéal », s’insérant entre « Bénédiction » et « Elévation ».
Au départ, le poème n’avait que trois strophes (1, 2,3). Et c’est à la demande de Charles ASSELINEAU, ami de Charles BAUDELAIRE, que celui-ci a introduit une quatrième strophe ( la troisième du poème), pour insister sur la « gaucherie » de l’oiseau.
« L’Albatros » est aussi un poème qui a connu certains remaniements, qui se résument ainsi :
La substitution de « indolents » à « curieux » (v.3)
La substitution d’un point exclamatif à un simple point (v.12)




E. Caractérisation et problématisation :

Le poème en question est caractérisé par l’emploi d’une figure de style qui le domine, à savoir la métaphore – dite filée – en ce qu’elle parcourt presque tout le texte. Ainsi serait-il plus judicieux de s’interroger en vue de savoir selon quelle stratégie « poétique » Charles BAUDELAIRE développe, par l’assimilation du poète à ce vaste oiseau des mers, le thème de cet être maudit ou de cette « dérision », d’après le texte de « Bénédiction ».
Pour ce faire, il est possible de dégager trois grands axes de lecture, qui se présentent comme suit :

 La symbolique de l’albatros
 Un tableau vivant
 Une technique de dramatisation


F. Lecture et développement des axes :

a) La symbolique de l’albatros :

La symbolique baudelairienne est soulignée dans « L’Albatros » au moyen des figures d’analogie, comme la comparaison, et d’opposition tels le chiasme et l’antithèse :

1) La comparaison (comme première entré) :

Pour illustre cette première entrée, il faut relire le vers 13.
« Le poëte est semblable au prince des nuées »
Ce vers réunit tous les constituants de la comparaison, comme :

 Le comparé : « le poëte », la lettre majuscule lui attribue une valeur de « générique », et en quelque sorte, le met en relief (modalisation). Aussi, parle tréma sur le « e » à la place de l’accent aigu, BAUDELAIRE souligne-t-il le sens étymologique du mot, à savoir « créateur » inspiré par les muses.
 Le comparant : « princes des nuées », c’est une périphrase qui ne désigne que l’albatros, valorisé à travers une qualité princière et un lieu d’élévation ( nuées où le poète-oiseau nage et se purifie). Que l’on apprécie en jouissant de ces quatre vers :

« Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor… »
« Elévation »

 Le moyen (outil) de la comparaison : « est semblable à », c’est une expression verbale - (verbe copulatif + adjectif attribut du sujet + préposition (transitive) -, qui évoque l’idée de la ressemblance ou le rapprochement de deux créatures (Homme, oiseau).
 L’idée commune : c’est à ce propos que l’in peut s’interroger sur ce qui est partagé entre les deux genres humain et bestial. Cela nous amène à relire toute la pièce pour brosser un éventuel portrait du poète-oiseau, lequel portrait est fondé sur l’antithèse.


2) L’antithèse (comme deuxième entré) :
Le portrait de l’albatros-poète est essentiellement organisé au moyen d’une figure stylistique d’opposition, à savoir l’antithèse, soutenue par d’autres figures du parallélisme eu du chiasme, dont témoignent les vers suivants :

« Que ces rois de l’azur, // maladroits et honteux » (v.6)

« Ce voyageur ailé, //comme il est gauche et veule » (v.9)

« Lui, naguère si beau, //qu’il est comique et laid » (v.10)

« Ses ailes de géant, // l’empêchent de marcher » (v. 16)

A cet équilibre rythmique (6//6), souligné par des accents épiques portant sur la césure, dernière syllabe de chaque hémistiche (moitié d’un vers alexandrin) et la ponctuation qui se traduit dans la virgule, s’ajoute la figure chiasmatique (croisement de deux termes) pour mettre en relief deux qualités opposées (beauté et laideur), et ce verticalement et horizontalement, dans le vers 9 et dix :

« Ce voyageur ai-lé (= est laid)… il est (= i+ laid)…
Si beau… il est … et laid »

Il faudrait rappeler que la laideur se laisse sentir par le biais d’un procédé rhétorique, qui s’exprime dans la récurrence de certaine allitération (répétition de certaines consonnes initiales, ou, par extension, intérieures, dans des mots rapprochés), telle la sonorité « L ».

La rime (disposition de sons identiques à la finale des mots placés à la fin de deux unités rythmiques), est, à son tour, mise au service de cet effet, comme en témoignent, entre autres, les vers 5-7 et 13-15 :

« Planches »/ « blanches »
« Nuées »/ « Huées »

« Blanches » est un adjectif qui qualifie « ailes », lesquelles rejoignent à leur tour les « nuées » (un idéal pour l’oiseau-poète) ; alors que « planches » est un nom qui fait référence au « sol » qu’on relève au vers 15. Ces planches sont, à vrai dire, le symbole d’une réalité prosaïque, du spleen, de « miasmes morbides » et de « malédiction », traduite par les huées (cris de dérision, de réprobation).

A la suite de ces deux entrées, il est loisible de relever et classer tous les mots qui rendent compte des deux univers antithétiques du spleen et l’idéal, du haut et du bas (indices répétitifs chez Baudelaire).







3) Champ lexical du haut et du bas (troisième entrée) :

UNIVERS HAUT
BAS
CARACERISTIQUES
Maladroits et honteux
Laissent piteusement...comme des avirons
Comme il est veule et gauche
Comique et laid
Agace son bec avec un brûle-gueule
Mime en boitant
Infirme
Exilé sur le sol L’empêchent de marcher
DEVALORISATION
CHUTE, SPLEEN
 Vastes oiseaux des mers
 Voyageur ailé
 Si beau
 Volait
 Prince des nuées
 Hante la tempête
 Se rit de l’archer
 Ailes de géants
 Grandes ailes blanches  Maladroits et honteux
 Laissent piteusement...comme des avirons
 Comme il est veule et gauche
 Comique et laid
 Agace son bec avec un brûle-gueule
 Mime en boitant
 Infirme
 Exilé sur le sol
 L’empêchent de marcher
MODES DE CARACATERISATION VALORISATION
SYMBOLES IDEEAL, ELEVATION




4) L’allusion « personnifiante » (quatrième entrée) :

L’assimilation du poète à l’albatros semble être déjà dégagée du type de lexique auquel recourt Baudelaire, et lequel contiendrait des sèmes des sujets humains. Pour nous en convaincre, nous relevons à ce propos les catégories suivantes :

o Noms : roi, prince, compagnons, voyageur…
o Adjectifs : beau, laid, gauche, veule, exilé, infirme…
o Adverbes : piteusement
o Verbes : suivent, laissent traînent…

3) Champ lexical du haut et du bas (troisième entrée) :

UNIVERS HAUT BAS
CARACERISTIQUES  Vastes oiseaux des mers
 Rois de l’azur
 Voyageur ailé
 Si beau
 Volait
 Prince des nuées
 Hante la tempête
 Se rit de l’archer
 Ailes de géants
 Grandes ailes blanches  Maladroits et honteux
 Laissent piteusement...comme des avirons
 Comme il est veule et gauche
 Comique et laid
 Agace son bec avec un brûle-gueule
 Mime en boitant
 Infirme
 Exilé sur le sol
 L’empêchent de marcher
MODES DE CARACATERISATION VALORISATION DEVALORISATION
SYMBOLES IDEEAL, ELEVATION CHUTE, SPLEEN


b) Un tableau vivant (deuxième axe) :
A lire le poème de « L’Albatros » avec attention, le lecteur si averti ne peut qu’être sidéré par l’emploi de certains procédés rhétoriques, qui participent à rendre visible la scène, décrivant l’activité des albatros sur le navire, à côté des hommes d’équipage. Aussi, Baudelaire s’ingénie à dépeindre un tableau qu’il donnerait surtout à voir. Cette actualisation est prise en charge par une figure de stylistique que l’on appelle l’hypotypose, qui « consiste à décrire une scène de manière si vive, si énergique et si bien observée qu’elle s’offre avec la présence, le relief et les couleurs de la réalité » (4). Cette figure de style permet la mise en place du fantasme baudelairien et l’ostentation des choses sous les yeux du lecteur. D’où un « éclat de désir ». Plusieurs procédés sont mis en œuvre pour cet effet, et peuvent êtres classés ainsi :

1) Les déictiques :
i. Verbaux :
 L’itération : la valeur itérative est exprimée par trois temps verbaux de l’indicatif, et renforcée par l’emploi de l’adverbe « souvent » (v.1) :
o Présent : prennent, suivent, laissent (vv. 1 et 2)
o Passé composé : ont-ils déposé (v.5)
o Participez présent : glissant (v.4), employé pour une raison métrique à la place d’une relative « qui glisse », et surtout pour éviter la répétition – semble-t-il ! - du pronom relatif. A cette itération s’ajoute une durée que marquent les formes verbales « glissent » et suivent »

 La description : elle s’exprime dans trois éléments :

o Présent : est (vv. 9 et 10), agace v.11) et mime (v.12)
o Gérondif : en boitant (v.12)
o Imparfait : volait (v.12)

 L’atemporalité : certains verbes présentent des procès dont les limites ne sont point déterminées et attribuent à l’oiseau-poète des qualités permanentes (pour toujours ou pour une durée indéterminée) comme c’est le cas du présent dans « est » (v.13), « hante » (v.14), « se rit de » (v.14) et de « empêchent » (v. 16).





ii. Démonstratifs :

Comme leur nom l’indique, certains démonstratifs servent à désigner une réalité visible au destinataire, ou participent parfois à la rendre ainsi, comme dans les exemples suivants :
« Ces rois de l’azur » (v.6)
« Ce voyageur » (v.9)

iii. Personnels :

C’est l’emploi de quelques pronoms, qui soutiennent la dimension référentielle du thème (au sens grammatical). Ce sont tantôt des sujets tantôt des compléments :
o Sujets : « il » (vv. 9,10) ; « lui » (v.10) mis en relief grâce à un accent lyrique)
o Compléments : « l » (v.16), l’albatros est réduit à une simple créature passive par l’allusion à une sorte de réification de chute) ; « les » (v.5)

iv. Possessifs :
o « Leurs grandes ailes » (v.7)
o « Son bec » (v.11)
o « Ses ailes » (v.16)

v. Le pluriel à effet de réel : il se répartit en trois catégories, selon qu’il exprime :
o La quantité :
• « des albatros » (v.2) (Indéfinie)
• « vastes oiseaux des mers » (v.2)( qui exprime une immensité des mers et l’ampleur des oiseaux ; contamination oblige !)
• « rois de l’azur » (v.6) (élévation)

o L’indétermination :
 Définie :
- l(e), comme dans « l’azur » (v.6) ; « le poète » (v.13) ; « l’archer » (v.14) et « le sol » (v. 15)
- la : « la tempête » (v.16)
- les : « les hommes d’équipage » (vv. 1, 4,5). A ce propos, il faut souligner le complément du nom qui renforce davantage cette détermination en question.

 Indéfinie :
- « des » (vv. 2 ; 8 ; 13)


2) L’accumulation des adjectifs :
Baudelaire recourt également à l’emploi des différents types d’adjectif en vue de donner à scène une dimension concrète :

i. Qualificatifs :

• Coordonnés : ce sont des adjectifs non-classifiants, à travers lesquels le poète exprime une sorte de distanciation ( désapprobation) par rapport à la situation dans laquelle se trouve l’albatros sur le sol, parmi les hommes :
o « maladroits et honteux » (v.6)
o « gauche et veule » (v.9)
o Comique et laid » (v.10)


• Antéposés : ce sont des adjectifs classifiant ; il sont marqués subjectivement et positivement (valorisation). Ils désignent la « la manière d’être la chose » et non « la manière d’être DE la chose ». Ainsi la chose et la qualité sont-elles qu’une.
o « indolents compagnons » (v.3) (entendez indolemment, c’est-à-dire paresseusement et mollement)
o « vastes oiseaux » (v.2) (vastement, rare, s’il vous plaît !)


• Postposés : c’est un adjectif qui apporte sa propre valeur de qualification, en ce que l’albatros est à la fois « voyageur « et « ailé », comme dans le segment « voyageur ailé » (v.2). les deux classes sont, de ce fait réunies mais restent autonomes.

• Antéposés et Postposés :
o « grandes ailes blanches » (v.7) : il s’agit d’une mise en relief des ailes par l’encadrement d’un adjectif, qui désigne l’immensité et d’un autre de nature (couleur), qui souligne une redondance par rapport aux ailes de l’albatros. Cela relève d’une esthétique de style en voie de disparition.


• Attribut du sujet :
o « Est semblable » (v.13)

• Epithète détachée :
o « beau » (v.10)
o « exilé » (v.15) : séparés du nom par une pause importante (cf. les virgules dans ces vers, ces deux adjectifs sont mobiles dans les phrases et évoquent une propriété transitoire, concédée tantôt par un adverbe « naguère » (v.10) tantôt par un verbe « empêchent » (v.16)



3) Lexique des couleurs et du bruit :
Citons à cet égard certains mots qui donnent de l’accent et participent à rendre la scène si vive et émouvante :
• Couleur : « blanche », « azur », « mers », « nuées »
• Bruit : « glissant », « tempête », « huées »

4) Quelques figures de style :
• La comparaison : « comme des avirons » (v.8) ; « le poète est semblable au prince des nuées » » (v.9) ;
• cf. les autres figures de style traitées dans cet essai (antithèse, chiasme, métaphore…etc.)

5) La modalité énonciative :
• Assertive : ce type de modalité domine la pièce, parce qu’elle a une fonction principalement informative (descriptive), en témoigne le type des phrases
• Exclamative : cependant, dans la troisième strophe, le poète laisse deviner davantage ses sentiments face à l’état de l’albatros, pris au piège de la réalité prosaïque. Cette envolée trop lyrique s’explique par le fait que cet oiseau est l’alter ego du poète. Bref, il en est le symbole (objet ou fait qui a une fonction analogique et évocatrice). Les outils exclamatifs sont « comme », « que » et le point « ! ». (cf. la distanciation citée ci-dessous).

6) Jeu de sonorités :
Le jeu des sonorités se traduit dans l’emploi de l’allitération (répétition des consonnes initiales ou intérieures dans une suite de mots rapprochés). Pour s’en convaincre, il est possible d’interroger, entre autres, les consonnes suivantes /S/, /L/ et /V/ :
• Les consonnes /S/ et /V/ mettent l’accent, dans la première strophe, sur l’atmosphère marine, par l’évocation du vent /V/ et du souffle /S/


« Sou-vent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui sui-vent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers. »


Cette atmosphère est soutenue par d’autres termes destinés à l’oreille, comme « vent » dans « souvent », ou à l’œil, dans « suivent », et pat des sons complémentaires, qui lui attribuent une qualité dure et insupportable, en témoignent les /G/ et /K/.


• La consonne /L/ : elle participe également à cette visualisation synthétique de la scène, puisqu’elle évoque un élément aquatique, à savoir l’eau ou la mer, comme dans les mots suivants : « les hommes », « albatros », « indolents », « le navire », « glissant », « les gouffres, « les ont-ils », « les planches », « l’azur », « maladroits », « laissent », « leurs », « ailes blanches », « ailé », « il est », « veule », « lui », « laid », « l’un », « brûle-gueule »,« l’autre », « l’infirme », « volait », « le poëte », « semblable », « la tempête », « l’archer », « exilé », « sol », »milieu », « ailes », « l’empêchent ».

• La consonne /V/ : avec la voyelle /A/, elle constitue, dans le segment « vastes oiseaux », une syllabe, qui ment en scène la « vastitude » : que de plaisir !






7) Jeu des rimes :

Rimes Effets de sens
1) Equipage/voyage




2) Amers/mers



3) Planches/blanches






4) Laid/volait



5) Honteux/eux



6) Nuées/huées




7) Archer/marcher
 Appartenant au même champ sémantique, les deux termes soulignent l’idée du déplacement et du mouvement, renforcée par les rejets externes (entre les vers 1/2/3/4)

 Rapprochement d’un nom et d’un adjectif : la mer est décrite comme un lieu profond (gouffres) et insupportable moralement !

 Nom et adjectif : ils se trouvent en rapport d’opposition, en ce que le premier rejoint une réalité concrète et prosaïque (le bas), et que l’autre désigne une notion presque abstraite : l’aile est un ensemble de plumes (instruments pour écrire), qui font référence à la création.

 Adjectif et verbe : ce rapprochement désigne la laideur de l’oiseau qui essaye de voler maladroitement : un comportement désapprouvé.

 Adjectif/pronom : c’est un rapport de cause et de conséquence de deux mondes : celui de l’albatros (poëte) et celui des hommes.

 Nom/nom : comme dans la rime précédente, il s’agit d’une opposition de deux univers : l’un silencieux, vaste, de « pure et divine liqueur » ; l’autre, grouillant et gênant.

 Nom/verbe : tout se passe comme si l’archer devenait une pointe dressée sur l’oiseau-poëte : obstacle et gêne.


7) Jeu des rimes :

Rimes Effets de sens
1) Equipage/voyage

2) Amers/mers

3) Planches/blanches

4) Laid/volait


5) Honteux/eux

6) Nuées/huées




7) Archer/marcher
 Appartenant au même champ sémantique, les deux termes soulignent l’idée du déplacement et du mouvement, renforcée par les rejets externes (entre les vers 1/2/3/4)

 Rapprochement d’un nom et d’un adjectif : la mer est décrite comme un lieu profond (gouffres) et insupportable moralement !

 Nom et adjectif : ils se trouvent en rapport d’opposition, en ce que le premier rejoint une réalité concrète et prosaïque (le bas), et que l’autre désigne une notion presque abstraite : l’aile est un ensemble de plumes (instruments pour écrire), qui font référence à la création.

 Adjectif et verbe : ce rapprochement désigne la laideur de l’oiseau qui essaye de voler maladroitement : un comportement désapprouvé.

 Adjectif/pronom : c’est un rapport de cause et de conséquence de deux mondes : celui de l’albatros (poëte) et celui des hommes.

 Nom/nom : comme dans la rime précédente, il s’agit d’une opposition de deux univers : l’un silencieux, vaste, de « pure et divine liqueur » ; l’autre, grouillant et gênant.

 Nom/verbe : tout se passe comme si l’archer devenait une pointe dressée sur l’oiseau-poëte : obstacle et gêne.

8) Le blason :

Pour finir, cette deuxième partie, il serait bon de rappeler que Charles BAUDELAIRE s’est servi également d’un procédé, appelé le blason, en ce sens que le poète décrit les qualités de l’albatros, de manière détaillée et sur le mode de la satire, mais à travers certains détails ou certaines parties du corps :

 Aile : « leurs ailes » (v.7), « ailé » (v.9), « volait » (v.12) (description d’une action), « ses ailes » (v.16)
 Bec : « son bec » (v.11) (cf. également le mot composé : « brûle-gueule » (v.)
 Pattes : cf. « boitant » (v.12), « infirme » (v.12), et « marcher » (v.14).
Ainsi, toute la description est construite selon une visée déterminée à savoir apparenter la scène en question à un tableau pictural que le langage prend en charge. Par là, Baudelaire « accomplit la définition que Platon donne de l’artiste, faiseur au troisième degré, qui est, puisqu’il imite ce est déjà une simulation d’essence ».
Or, ce tableau que Baudelaire nous donne à voir acquiert toutes les caractéristiques du genre dramatique.


c) Une technique de dramatisation :
Partant, il découle de ce souci de visualisation un effet de dramatisation ou de théâtralisation. Baudelaire apporte à la scène de l’albatros une touche dramatique à travers la mise en place du son, de la couleur et d’autres éléments, tels que :
i. Les actants :
• Le genre : humain (hommes), oiseau (albatros), objet (navire)
• Le nombre : le pluriel donne un effet de pléthore et de profusion (les, des…)
• La caractérisation (cf. ci-dessus)
• Actions :
▲ Le navire : « glissant » (= mouvement continu sur un espace lisse qui est la mer)
▲ Les hommes : « s’amuser » (caractère léger) ; « prennent » (acte grave) ; « ont-ils déposé » (mettre sur les planches = mettre sur (en) scène).
▲ Les albatros : « suivent » (= fascination, ensorcellement) ; « laissent …eux » (= mollesse) ; « agace » (gêne et violence à portée masochiste) ; « mime » (théâtralisation) ; « boitant » ( portée comique et tragique) ; « volait » (volonté de libération et d’élévation) ; « hante » (règne comme maître, domination de la violence cosmique (tempête)) ; « se rit de » ( indifférence à tout danger que peuvent représenter les arcs, car il se trouve hors d’atteinte).


ii. Le cadre : à cet égard, on peut distinguer deux éléments, à savoir :

• Le temps : c’est un temps dilaté, à la limité du temps mythique, en témoigne le traitement particulier des temps verbaux. C’est un hors-temps.
• L’espace : encore une fois, il s’agit d’un espace particulier, puisque la scène se déroule un navire, un lieu « comprimé », en mouvement, et qui échappe à toute détermination. A l’instar de la mer, qui se définit ici comme un mi-lieu, le navire est un espace intermédiaire entre le ciel (nuées, l’azur) et la terre (le sol).


iii. Le lexique : nombreux sont les mots qui font référence au théâtre dont, « s’amuser », « comique », « mime », « huées », « se rit de », « rois », « prince ».

iv. La tonalité tragi-comique : à côté de facture comique, il est possible de noter une touche tragique.

 Le ton tragique :
 « prennent » (v.2) : les albatros sont ici assimilés à des personnages tragiques, car ils sont victimes de centaines créatures divines, qui prennent plaisir à jouer de leur destin, en vue de s’amuser, telles des marionnettes.
 « Indolents, maladroits, honteux » (sentiment de péché !), ; « gauche », boitant, infirme, empêchent de marcher…) : ils expriment l’idée de la chute, du malheur au sens étymologique (cf. piteusement, qui, par le sens et le son « pit- », fait allusion à une notion récurrente dans le genre tragique, à savoir la « Pitié ». le paroxysme du malheur se traduit bel et bien dans « l’exil »
 « rois », « prince » : ils se référent à un registre noble, propre à la tragédie grecque et classique : Oedipe-roi de Sophocle, entre autres.

 Le ton comique : ce comique est présent à travers un renversement de situation, c’est-à-dire la description dévalorisante du comportement des « albatros-rois-poëtes ». en effet, ceux-ci ne sont là que pour amuser les hommes. Rappelons, à ce propos, les termes qui évoquent cette situation comique : « pour s’amuser », « comique », « maladroits », « gauche », « veule », « laid », et « mime ». ce lexique nous donne une image clownesque du personnage de l’oiseau.


d) Pour conclure :

En guise de conclusion, il est à affirmer que la pièce poétique de « l’Albatros » met en en œuvre une écriture protéiforme, car elle permet la coexistence et l’interférence de différents genres artistiques, à savoir la poésie, la peintre et le théâtre, et de divers tons, qui s’expriment dans le comique, le satirique et le tragique.

Partant, par le traitement si singulier du thème de la condition du poète, Charles BAUDELAIRE attribue à l’acte d’écrire son sens plein. Loin d’être intransitive, l’écriture est une création, telle est conçue par Aristote qui parle de « poësis », dont témoigne l’emploi du vocable « Poëte » (v.13), où la majuscule « P » et le tréma » (¨) sont plus qu’un clin d’œil.

En somme, c’est cette interférence des formes artistiques, à notre humble avis, qui a rendu malencontreuse l’approche du poème en question.

Et par cet essai si modeste, nous espérons participer à l’éclaircissement d’un texte – qui reste ouvert – à l’aide d’une approche qui n’est que la lecture méthodique.

IV. Phase post-pédagogique :
Puisque la lecture méthodique est un exercice, qui a le privilège de préparer l’apprenant ç d’autres activités, comme le commentaire composé et le groupement de textes, il est souhaitable de prévoir un groupement de textes romanesques, qui mettent en scène des personnages, à l’image de l’albatros, victimes de leurs imaginations.

La proposition peut concerner :

1) La première section de la nouvelle de Guy de MAUPASSANT : La parure.
2) Un extrait de Madame Bovary, de Gustave FLAUBERT
3) Un extrait de Don Quichotte, de SERVANTES.



Bouchta FARQZAID



Marges :

1) Robert, Le petit Robert, Paris, Edition, 2005, p. 45
2) Encyclopeadia Universalis,
3) Manuel scolaire de la première année, section Lettres, année
4) Fontanier,



Bibliographie :

1. Corpus :
• Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Edition 10/18
• Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Paris, Ed. Livre de Poche, 1969

2. Dictionnaires :
• Paul Robert, Le Petit Robert, Paris, 2005
• Le dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, Jupiter, 1982

3. Didactique :

• Anne Armant et autres, La séquence didactique en français, collection Didactiques, CRPD-Midi Pyrénées, 1992


4. Grammaire :
• Delphine Denis et Anne Sancier-Château, Grammaire du français, Paris, Col. Le livre de Poche, librairie générale Française, 1994

5. Métrique :

• Jean Mazaleyrat, Eléments de métrique, Paris col. Armand Colin, 1974

6. Stylistique :

• Jean Mazaleyrat et George Moliné, Vocabulaire de stylistique, Paris, PUF, 1989
• Fontanier, Les Figures de style,


F.

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