Didactique
Initiation au commentaire composé
Le prologue de
La Civilisation, ma Mère !...
De Driss Chraïbi
Editions Denoël, 1972
« Et il fut dit : « Ô terre absorbe ton eau ! Et toi ciel, cesse [de pleuvoir] ! » L’eau baissa, l’ordre fut exécuté, et l’arche s’installa sur le Jûdi (1), et il fut dit : « que disparaissent les gens pervers »
Sourate, Hûd, verset 44.
1. nom d’une montagne
Initiation au commentaire composé
Le prologue de
La Civilisation, ma Mère !...
De Driss Chraïbi
Editions Denoël, 1972
Le prologue :
« Voilà le paradis où je vivais autrefois : mer et montagne. Il y a de cela toute une vie. Avant la science, avant la civilisation et la conscience. Et peut-être y retournerai-je pour mourir en paix, un jour…
Voilà le paradis où nous vivions autrefois : arbre de roc, la montagne plongeant abruptes ses racines dans les entrailles de la mer. La terre entière, humanité comprise, prenant source de vie dans l’eau. L’Océan montant à l’assaut du ciel le long de la falaise et, jusqu’aux cimes, le long des cèdres hérissés.
Un cheval blanc court et s’ébroue sur la plage. Mon cheval. Deux mouettes s’enlacent dans le ciel. Une vague vient du fond du passé et, lente, dandinante, puissante, déferle. Explose et fait exploser les souvenirs comme autant de bulles d’écume.
Souffrance et amertume d’avoir tant lutté pour presque rien : pour être et pour avoir, faire et parfaire une existence – tout, oui, tout est annihilé par la voix de la mer. Seule subsiste la gigantesque mélancolie de l’autrefois, quant tout était à recommencer, tout à espérer. Naissance à soi et au monde.
Une autre vague vient par-dessus la première et fulgure. Etincelle e ruisselle d’une vie nouvelle. Sans nombre, débordant par-delà le rives du temps, de l’éternité à l’éternité d’autres naissent et meurent, se couvrant et se renouvellent, ajoutant leur à la vie. D’aussi loi qu’on les entende, toutes ont la même voix,, répètent le même mot : paix, paix, paix… »
Driss Chraïbi, La Civilisation ma Mère !...
pp. 15-16
Initiation au commentaire composé
Prologue de La Civilisation, ma Mère !.... de Driss Chraïbi
0. Introduction :
La présence de ce texte d’ouverture dont l’accès semble difficile pose problème tant au niveau de sa structure interne qu’au niveau de son rapport à l’argument général du roman. C’est pourquoi, il nous a semblé bon d’en proposer une approche stylistique en vue d’en évaluer et l’écriture et la fonction.
Ainsi, et contrairement au corps du roman dont la dominante est narrative, ce prologue est caractérisé plutôt par une écriture baroque (style particulier, exubérant, parfois outrancier, qui s’est développé du XVIème au XVIIIème siècle) où le mélange des genres et des topoï est évident. Celle-ci permet à l’instance énonciative (pour ne pas parler du narrateur) en effet de mettre en scène une conception cosmique dont l’imaginaire arabo-musulman est fortement déterminant.
Nous proposons pour ce faire trois grands axes fédérateurs qui sont :
- Une écriture modalisée
- Une écriture lyrique
- Une écriture symbolique
I. Une écriture modalisée:
Le texte en question est modalisé à l’aide des marques d’énonciation discursive qui soulignent l’implication de l’instance énonciative dans le texte. Ce sont les déictiques :
A/ Personnels :
- « je » (L.1-4) : marque de la subjectivité, du moi
- « nous » (L. 6) qui marque le passage de l’individu au collectif (= famille, peuple)
- « on » (L.30) : une généralisation qui implique probablement le lecteur
B/ Possessif : « mon cheval » (L.14) : il renforce le « je » en lui faisant référence.
C/ Temporels :
Nous assistons à une dilatation de la temporalité dans le texte. En effet, c’est un temps mythique (sacré) qui est mis en scène et pris en charge par :
a) un présent omnitemporel : qui est apte à évoquer un procès dont le point de départ dans le passé n’est pas précisé, non plus que la borne finale (vers l’avenir) :
Exemple : il y a (L.2) ; court + s’ébroue (L.13) ; vient + déferle (L.15) ; fulgure (L.25) ; étincelle + ruisselle (L.26) ; naissent (L.28) ; meurent (L.29) ; entende (L.30) ; ont + répètent (L.31)
b) un imparfait :
Cette dimension mythique du temps est stigmatisée également par un imperfectif, forme homologue du présent, dont le procès est vu de l’intérieur :
Ex : vivais (L.1) ; vivions (L.6) ; était (L.22)
Par,
c) un adverbe « autrefois » : propre au conte et au mythe, et dont la portée à la fois fictive et surnaturelle est soulignée par d’autres syntagmes comme « du fond du passé » (L.15), « d’aussi loin » (L.30), « il y a de cela une vie » (L.2), c’est-à-dire un temps « avant la science, avant la civilisation et la conscience » (L.2-3) : c’est un temps pur de « paix » (L.4-32) et de « nature » dont le contraire est bel et bien « la civilisation » ou bien « la culture ».
Et par,
d) un futur : qui a la même valeur, en ce qu’il est modalisé et par l’adverbe « peut-être » qui inscrit le procès sous le signe de la probabilité, et par le syntagme nominal « un jour » qui lui confère un flou ou une imprécision.
D/ Spatiaux :
L’espace est cela même qui dit l’absence du temps, en ce qu’il se constitue comme un lieu de « l’éternité » (L.28), et se situe « par delà les rives du temps » (L.27). C’est une nostalgie du « paradis » (L.1 ; 6)
II. Une écriture lyrique :
C’est une écriture d’inspiration poétique essentiellement fondée sur l’exaltation des sentiments de l’instance énonciative (= auteur ?) à l’égard d’un temps-lieu euphorique, malgré une notation parfois dysphorique qui en reste. Cette nostalgie du paradis perdu passe par un souci de visualisation d’un univers de régénérescence et de renouvellement incessant, c’est-à-dire de vie-mort. Cette vision vivement adamique est rendue d’abord par une rhétorique ad hoc.
A/ Des figures de style :
a) La répétition : elle a pour rôle de mettre en relief des éléments cosmiques et attribuent au texte une scansion du verset :
Exemple : « paradis » (L1-6) ; « cheval » (L.13-14) ; « mer » (L.1-21) (cf. également ses dérivés impropres : « Océan » (L.10) ; « eau » (L.9) ; « tout » (L.20-22-23) ; « vague » (L.15-25-27) ; « bulles » (L.16) ; « écume » (L.16) ; « autrefois » (L.1-6-23) ; « éternité » (L.28) ; « vie » (L. 2-9-26-30) ( ou ses dérivés impropres : « nouvelle » (L.26) ; « se renouvellant » (L.29)) ; « même » (L.31) ; « paix » (L.4-30)
b) La dialectique des « contraires » :
L’antithèse apparente laisse deviner le travail si imaginaire de récriture que l’instance énonciative fait subir à cette figure stylistique. Loin de s’opposer, les éléments cosmiques du texte communiquent pour mettre en place une sorte de dialectique du dépassement (transcendance) avec conservation. C’est le cas par exemple de la dialectique de la vie et la mort dont les vagues sont bel et bien illustratives, et rappellent la conception sacré du coran : « Et Tu fais sortir le vivant du mort, et Tu fais sortir le du vivant » (1)
1. Vie/mort
Vie
Mort
. vie
. vivais
. vivions
. vie nouvelle
. naissent
. à recommencer
. existence
. naissance à soi et au monde
. se renouvellant
. mourir
. meurent
. annihilé
. explose®
2. Haut/bas : « l’océan montant à l’assaut du ciel… » (L.10-11)
Haut :
Bas :
. ciel
. cimes
. montagnes
. cèdres hérissés
. la mer
. les entrailles de la mer
3. Sentiments :
Négativité
Positivité
. souffrance (L. 18)
. amertume (L.18)
.gigantesque mélancolie (L.211-21-22)
. espoir (L.23)
4. Eau/ Feu :
Eau
Feu
. mer
. Océan
. vague
. écume
. bulles
. ruisselle
. explose®
. étincelle
. fulgure
. fulgure
5. Un lieu euphorique/ un lieu dysphorique :
Lieu euphorique
(voi-) Là
Lieu dysphorique :
(souf-) FRANCE
. Paradis
. Paix
. Vie
. Liberté (cheval)
. Nature
. Souffrance
. Amertume
…….
. Civilisation
. Science
. Conscience
. ËTRE
. AVOIR
. TOUT (L.20)
. PRESQUE RIEN (L.19)
(2)
Il ya de rappeler que cette dialectique du feu et de l’eau es retrouve incluse dans la métaphore du « cheval », qui symboliquement relève à la des deux éléments (Pégase : cheval ailé qui, d’un coup de pied, fait naître la fontaine hippocrène, dont les eaux apportent de l’inspiration à tous ceux qui les boivent).
c) La caractérisation :
Grâce à ce procédé, la scène décrite se trouve animée et vivante. Elle s’appuie sur :
1. Des adjectifs:
- adjectif antéposé : « cèdres hérissés » (L.12) ; « cheval blanc » (L.13) ; « terre entière », « humanité comprise » (L.8) ; « vague lente, dandinante, puissante » (L. 15-16 : avec une accumulation)
- adjectif antéposé : « la gigantesque mélancolie » (L.21-22) : (à valeur subjective) ; « abruptes ses racines » (L.7)
- adjectif attribut : « tout est annihilé » (L.20)
2. Des déterminants :
· Définis: qui ont une valeur référentielle
- « Le » (L.1-6-10-14-31…)
- « La » (L.2-3-7-8-9-10-13-2128-..)
- « Les » (8-16)
· Indéfinis : ayant un valeur de spécification
- « Un cheval »
- « une vague »
- « deux mouettes »
3. Des subordonnées :
- circonstancielles : « le paradis où je vivais autrefois » (L.) ; « le paradis où nous vivions autrefois » (L.6)
- phrases à participe mais équivalentes aux relatives : « la montagne plongeant abruptes ses racines dans les entrailles de la mer» (L. 6) ; « la terre entière, humanité comprise, prenant source de vie dans l’eau » (L.8-9) ; « l’Océan montant à l’assaut du ciel » (L.10) :
.La montagne plongeant (= qui plonge)
. La terre prenant (= qui prend)
. L’Océan montant (= qui monte)
4 Des syntagmes verbaux :
Ce sont les exemples suivants :
- « Cheval court et s’ébroue »
- « Deux mouettes s’enlacent »
- « Une vague vient …déferle »
- « Toutes [vagues] ont la même voix, répètent le même mot »
5. Des syntagmes prépositionnels :
- « Arbre de roc »
- « Entrailles de la mer »
- « L’assaut du ciel »
- « Le long de la falaise »
- « Mélancolie de l’autrefois »
- « Tout à recommencer »
- « Naissance à soi et au monde »
- « Rives du temps »
6. La comparaison :
- « Explose et fait exploser les souvenirs comme des bulles d’écume »
. Comparant : bulles d’écume
. Comparé : souvenirs
. Moyen de la comparaison : comme
. Idée commune : explosion comme action subie
7. La personnification de la Mer :
C’est à travers les exemples suivants :
- « Vague lente, dandinante, et puissante » (L.15-16)
- « La voix de la mère » (L.21)
- « D’autres vagues meurent et naissent… » (L.28-29)
- « [Vagues] ont la même voix, répètent le même mot »» (L.31)
- « paix, paix, paix » (L.32)
B/Assonance et allitération :
L’évocation de la mer est soulignée sue le plan phonique par la répétition à dessein, dans le texte, d’un certain nombre de consonnes (allitération) et de voyelles (assonance)
1. un son liquide qui évoque l’eau / L / et qui est trop récurrent :
Voilà ; le ; il ; cela ; la ; le ; plongeant ; ciel ; l’eau ; l’assaut ; l’Océan ; le long ; cheval ; blanc ; plage ; déferle ; s’enlacent ; lente ; explose® ; les ; bulles ; lutté ; annihilé ; mélancolie ; l’autrefois ; seule ; ruisselle ; nouvelle ; l’éternité ; renouvelant ; leur ; loin ;
2. D’autres s’y ajoutent pour appuyer cette visualisation sonore comme les consonnes sifflantes : /v/, /f/, /s/ et le /z/ ans les mots suivants :
- « voilà », « vague », « vient », « vivais », « vivions », « vie », « cheval », « civilisation », « rives », « nouvelle », « couvrant », « renouvellant », « voix »
- « déferle », « falaise », « faire », « parfaire », « fond »
- « puissante », « souvenirs », « passé », « souffrance » « civilisation », « science », « conscience », « racines », « assaut », « ciel », « cèdres », « s’ébroue », « s’enlacent », « subsiste », « presque », « existence », « seule », « gigantesque », « commencer », « espérer », « jusqu’au », « naissent », « par-dessus », « étincelle », « sans »
- « civilisation », « subsiste », « explose® », « les entende »
Comme nous avons souligné auparavant, ces sifflantes contribuent à l’évocation des bruits que produisent les vagues, et rendent, de ce fait, la scène vivante.
D’autres sons /k/ sont fort significatifs, dans la mesure où ils évoquent la dureté (« abruptes » L.7) même de la scène et la puissance indomptable des forces cosmiques. Nous les trouvons dans les mots suivants :
- « roc », « écume », « comme », « conscience », « commencer »
- « vague », « gigantesque », « fulgure »
C/ Lexique:
a) de perception
1. de vision :
- voilà (= vois +là)
2. d’audition :
- vague
- explose®
- la voix de la mer
- ont la même voix
- répètent le même mot
b) de mouvement :
- montant
- plongeant
- prenant
- court
- s’ébroue
- s’enlacent
-vient
- déferle
- dandinante
- débordant
- explose et fait exploser (l’absence du sujet est une mise en valeur des propos)
c) de couleur :
- blanc : qui évoque, outre la pureté, l’idée de la lumière, et grâce à quoi le cheval rejoint symboliquement les mouettes (propriétaires de lumière)
D/ Le rythme :
a) symétrie : douze syllabes (alexandrin)
- « Voi/là / le/ pa/ra/dis/ où /je /vi/vais/ autre/fois »
- « Voi/là/ le/ pa/ra/dis/ où/ nous/ vi/vions/ autre/fois »
b) rythme ternaire :
- « vague lente, dandinante, puissante »
…
III. Une écriture symbolique :
Par le recours à quelques éléments fortement significatifs, le texte débouche sur la question de leur emploi symbolique. En effet, nous pouvons noter trois sortes de symboles cosmiques, à savoir la nature, le bestiaire et l’oiseau.
A/ La Nature :
Celle-ci peut être répartie en d’autres éléments constitutifs qui sont la mer, la terre, le ciel et l’arbre.
a .La mer :
Il faut rappeler que l’eau est décrite dans le texte coranique comme cela qui est à l’origine de la vie. A ce propos, Dieu dit : « De l’eau, nous avons crée toute chose vivante » (Le Coran ). C’est cette même conception que nous retrouvons dans ce prologue de La civilisation, ma Mère !.... C’est aux lignes 6-8 que nous apprenons que tout ce qui est sur terre prend source dans l’eau : « arbre de roc, montagnes prenant abruptes ses racines dans les racines de la mer », ou encore que « la terre entière, humanité comprise, prenant source de vie dans l’eau » (L.8-9) (1). C’est ainsi que l’univers extérieur, dont l’ « arbre de roc » et les « cèdres hérissés », n’est en fin de compte qu’une continuité d’un élément vital : l’Eau.
Aussi, elle est là pour mettre en relief cette dialectique de le vie de la mort, qui, loin de s’opposer, s’enracinent l’une dans l’autre, telles des vagues « sans nombre » qui « meurent et naissent, se couvrant et se renouvellant, ajoutant leur vie à la vie », « de l’éternité à l’éternité » (L. 27-30)
A cette vision euphorique de la mer s’ajoute une note négative, en ce que cette même mer est élément destructeur, car elle « explose et fait exploser les souvenirs comme des bulles d’écume » (L.16-17). N’est-il pas dit encore une fois dans toutes les religions que la mer peut être aussi un moyen de châtiment divin, en témoigne le récit de Noé. La mer, via la vague, « puissante…déferle, fulgure »
En outre, la mer est une anti-mémoire : elle « annihile tout ». Elle fonctionne comme une source, cette fois, d’amnésie : elle « explose et fait exploser les souvenirs comme des bulles d’écume » (L.16-17).
Notons par ailleurs que c’est sur le terme de mer que se clôt le roman.
b. Le ciel :
Il est cela qui garantit la fécondité de la terre grâce aux pluies qu’il déverse, mais en même temps cette transcendance que nul ne peut atteindre. C’est pourquoi, « L’Océan [a beau monter] à l’assaut du ciel » (L.10). Trop élevé et saturé de sacralité, il stigmatise l’inaccessibilité et l’infini divin.
Mais, contrairement à la mer, il est une puissance bienfaitrice, en ce qu’il occasionne l’accouplement des mouettes (= propriétaires de lumière) qui « s’enlacent », ou des âmes élues chez les Aztèques, qui croient aux treize cieux, dont celui des oiseaux (le quatrième). Cette dimension érotique est implicite à travers la communication du ciel et de la terre (montagnes, arbre, cèdres) par le biais de cet élément aquatique : l’eau qui est garante d’une circularité cosmique.
Faut-il nous en souvenir que le ciel est également le symbole de la « conscience » (L.3) de l’instance énonciative (= Driss Chraïbi ??!!). Il est cela qui signifie l’absolu de ses aspirations, une plénitude de quête « pour être et pour avoir, faire et parfaire une existence » (L.19-20). Ce désir de perfection (= « parfaire ») de l’esprit n’était qu’une « lutte » vaine (« pour presque rien » L.9).
B. Le Bestiaire :
Dans certaines mythologies, il est dit que Dieu prit une poignée de vent, souffla là-dessus et en créa un cheval. Son dressage remonte à quatre millénaires avant Jésus Christ.
a. Le cheval :
Le texte de La Civilisation, ma Mère !... recourt à la figure du cheval pour souligner le caractère sauvage (= naturel) et libre, en ce que le premier narrateur souhaite que sa mère soit comme les chevaux libres : « je dis : pourquoi pas ma mère ? J’ai dit à haute voix, nuit après nuit, la tête dans mon oreiller : un jour les êtres humains aussi seront libres » (4).
Chtonien (qui relève de la terre), le cheval entretient aussi une relation démiurgique avec l’eau dont témoigne Pégase. Il est donc le symbole de la vie, puisque dans l’Imaginaire cosmologique, il désigne « le sang qui court dans les veines » (« court », L.13).
Sa caractérisation (« blanc ») fait de cet animal un signe de pureté (« pur sang ??»), et de silence de la terre avant toute naissance et tout commencement. Ainsi, outre sa dimension possessive, il devient comme un signe zodiacal de l’instance énonciative : « Mon cheval » (L.14)
Solaire, le cheval est, d’autre part, un symbole de la « conscience » diurne (le blanc comme le contraire du noir ?) voire de la mémoire (« souvenirs ») menacée par la voix de la mer. Mer et Cheval sont donc en perpétuelle lutte pour que survive la mémoire du peuple, et soit conservée son IDENTITE.
Ainsi, le Cheval-Mère est une Anti-Mer, ce qui revient à dire qu’Il est une MEMOIRE.
b. Les deux mouettes :
Elles symbolisent la vie et la liberté. Leur entrelacement fait penser à une euphorie érotique. De ce fait, elles rejoignent le cheval pour mettre en place une métaphore de la liberté à la fois chtonienne et céleste.
IV. En guise de conclusion :
Au de-là de son aspect discursif et lyrique, le prologue du roman La Civilisation, ma Mère !... met en scène une vision cosmologique où se tiraillent la vie et la mort, le passé et le présent, l’oubli et le souvenir, l’être et l’avoir que l’écriture possède le secret de transcender mais sans mélancolie. A travers des signes fort connotés et inaccessibles, le texte nous invite à lire une force créatrice de cet univers qui se montre à nous, sans être cependant perçue par la vue (5), et à prendre du plaisir à déchiffrer les signes du roman comme en témoignent les points de suspension à la dernière ligne : ( ... ).
Cette ellipse, comme espace jouissif à remplir, est cela qui se lit dans le titre même La Civilisation, ma Mère !...
Et la rupture n’est pas de mise !
Notes :
i. « Le Saint Coran » , Sourate « Al Immran », traduction en langue française du sens des versets, révisé et édité par La Présidence Générale des Directions des Recherches Scientifiques Islamiques, de l’Ifta, de la Prédication et de l’Orientation religieuse. Verset, 27 ; p. 53
ii. Dans la deuxième partie du roman, intitulée « Avoir », Nagib écrit à son frère, qui est parti en France, en lui disant : « Alors, tu es à Paris ? Comme un oiseau tombé du nid », ch.1, partie II, p.103
iii. Il faut rappeler que n’a aucune idée sur les animaux, les oiseaux et les arbres : « tu ne m’as parlé ni d’arbre ni d’oiseaux. Pas même d’un petit ruisseau », dit-elle à son mari, (L.72). Et paradoxalement, pour le Mère, l’arbre est un symbole de liberté : « Un être libre est un être immobile comme un arbre, ma foi oui…. » (L.74)
iv. pp. 62-63
v. Nous invitons le lecteur à relire le récit du prophète Moïse, du mont et du buisson ardent dans le texte coranique
Bibliographie :
i. Driss Chraïbi, La civilisation, ma Mère !..., éditions Denoël, 1972
ii. Driss Chraïbi, Naissance à l’aube, Editions du Seuil, 1985
iii. Le Saint Coran , Sourate « Al Immran », traduction en langue française du sens des versets, révisé et édité par La Présidence Générale des Directions des Recherches Scientifiques Islamiques, de l’Ifta, de la Prédication et de l’Orientation religieuse.
iv. Moulim El Aroussi, Esthétique et art islamique, Arrabeta, 1996 (deuxième édition)
v. DELPHINE DENIS ET ANNE SANCIER CHATEAU ? Grammaire du français, le Livre de Poche, Librairie Générale Française, 1994
vi. Le Petit Robert, dictionnaire de la langue française, rédaction dirigée par A. Rey et J. Rey-Debove, 1992
vii. Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Edition revue et augmentée, Robert Laffont/Jupiter
viii. Anne Herschberg Pierrot, Stylistique de la prose, Editions Belin, 1993
Driss Chraïbi ?
Un des grands écrivains marocains de langue française. Il fut révélé par Le Passé simple (1954) le roman qui a fait entrer la littérature marocaine dans la modernité.
Parmi ses œuvres
Le Passé simple (Gallimard, 1954) : Un jeune Marocain s’oppose violemment à son père ainsi qu’aux pesanteurs de la société marocaine et part étudier en France. Ce roman qui stigmatise le poids de l’islam et la condition faite aux femmes. Ce roman très critiqué à sa parution en 1954 par les intellectuels marocains, mais bien accueilli en France est devenu un classique de la littérature marocaine du XXe siècle.
Les Boucs (Gallimard,1955) : Un roman qui évoque la destinée d’un jeune émigré algérien en France, mêlant le thème de la révolte contre le père, le déracinement et une critique de la société occidentale.
L'Ane (1956).
De tous les horizons (1958).
La Foule (1961).
Succession ouverte (Gallimard, 1962).
Un Ami viendra vous voir (1967) Une réflexion sur l’amour et sur le couple.
La Civilisation ma mère !... (Gallimard, 1972) : L’éveil à la conscience politique d’une femme marocaine vivant à la campagne.
Mort au Canada (1975) : La vie passionnée d’un couple jusqu’à sa séparation violente.
Une enquête au pays (1981 - Point Seuil, 1999) : La résistance de villageois berbères du Haut-Atlas face aux représentants de l’administration marocaine dans les années 1960. Deux pays et deux époques se confrontent.
La Mère du printemps (1982 - Point seuil, 1995) : Une évocation romancée de la conquête du Maroc par des armées arabes à la fin du VIIe siècle.
Naissance à l'aube (1986).
L’homme du livre (1995).
L’inspecteur Ali (Gallimard) : Un roman policier où se confronte l’Orient et l’Occident à travers des protagonistes marocains et écossais.
L'inspecteur Ali à Trinity College (Denoël, 1995) : La mort suspecte d'une belle princesse marocaine, étudiante en Angleterre embarrasse Scotland Yard.
L'inspecteur Ali et la CIA (Denoël, 1996) : La cinquième enquête de l’inspecteur Ali le même à une satire de la société américaine.
Lu, vu, entendu (Denoël, 1998 - Gallimard Folio, 2001) : Une évocation du Maroc des années 1926 à 1947 à travers les yeux d’un adolescent qui découvre le monde, son Maroc natal, puis Paris où il poursuit ses études.
Le monde à côté (Denoël, 2001 - LDP, 2003) : une autobiographie
dimanche 15 juillet 2007
1. Etude du prologue de La Civilisation, ma Mère...!
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